Les Zingarelles se rassemblent (le clou dans la planche)
Le 27 février 2012
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris
Ce qui vient d’ailleurs parfois séduit, dérange, attire, suscite la curiosité, l’envie ou la jalousie mais laisse rarement indifférent. Alors, qu’en est-il de ce qui vient de nulle part ?… Ou de partout, ce qui revient à peu près au même puisque, au bout du compte, les extrêmes se rejoignent ? Il y a forcément un peu d’inconfort à ne pas pouvoir identifier et catégoriser ce qui est inclassable. Toutefois, l’auditeur un tantinet aventureux laissera opérer la magie inhérente à l’inconnu et à l’indéfinissable. C’est l’histoire et la rencontre des Zingarelles qu’a compté le quatuor vocal, nomade et féminin du même nom, la semaine dernière à la Cave Poésie, dans une magie de chants et de couleurs chatoyants et épicés.
De Funchal à Sophia
Ce qui fait la richesse du nomade, c’est d’avoir vu du pays ; ce qui fait – en partie – sa magie, c’est de transporter en lui tout cet ailleurs sans y être attaché, enraciné. Les quatre Zingarelle (en italien dans le texte), errantes, croisent leurs chemins pour n’en former plus qu’un, entraînant chacune tour à tour les autres dans leur chant.
La performance vocale est incontestable. Le professionnalisme, l’expérience musicale et la maîtrise vocale de Sylvie Matta, Cécile Héraut, Sylvia Fernandez et Nadine Rossello ne sont d’ailleurs plus à démontrer. Mais la rencontre de quatre chanteuses d’horizons et d’univers aussi différents que le chant lyrique, le gospel, le jazz, le chant corse, macédonien ou de variété, et leur création commune sont une réussite aussi bien sur le plan musical et poétique que sur celui de la performance technique et interprétative. Vraiment, tout y est : maîtrise et performance vocales, variété de couleurs harmoniques, de timbres, de styles, beauté, équilibre, finesse et précision de l’écriture et de son interprétation, énergie et dynamisme de la présence scénique…
Il faut préciser que la Zingara est non seulement une « bohémienne » mais également – en cuisine – une « garniture composée de jambon, de langue écarlate, de champignons et de truffes avec une sauce madère relevée de paprika », selon le Centre National de Recherche Textuelles et Lexicales, ce qui ne manque également ni de couleurs ni d’épices. Et, en effet, les étoffes de ces dames sont à l’image de leurs voix. À dominantes rouge, blanche et noire, le chatoiement lyrique de leurs atours marie les richesses et le clinquant de l’opéra, la poésie des formes et des contrastes, le métissage des accessoires, dans une harmonie extravagante qui n’est pas sans rappeler dans l’esprit celle des costumes de Tri Yann sur scène, si ce n’est qu’il suscite davantage encore l’imaginaire par son absence (ou plutôt par sa multiplicité) de figuralisme(s). Sans aucun doute, la sensibilité féminine y est pour quelque chose.
Ombres et lumières
Si le sujet de l’histoire que content les Zingarelles n’échappera pas au sédentaire spectateur, le chemin auquel elles le convient reste ouvert à l’interprétation. Côté mise en scène, on pourra toutefois être interpellé par un fort contraste d’intensité entre un moment particulier et le reste du spectacle et, par conséquent, ressentir peut-être un certain essoufflement dans la deuxième partie. À la fois, peut-on reprocher la présence d’une pause de pure beauté visuelle, poétique et musicale d’une rare intensité dramatique et poétique ? Des portraits vivants, lumineux, bougeant, ondulant sous les fluctuations mélodiques. Ce qu’on appelle parfois trop souvent communément un « moment magique », quoi.
Le revers de ces moments là – et ce qui fait pourtant, de façon antinomique, leur charme – est d’occulter le souvenir de tout le reste. C’est dangereux pour l’équilibre, mais rend précieux l’événement. Quoi qu’il en soit, les belles nomades captivent, surprennent, font sourire (souvent), séduisent, entraînent, révèlent… Et si la zingarelle ne fait pas le printemps, leur rassemblement n’annonce pas pour autant les temps étirés et mornes de l’hiver : elles chantent sous les projecteurs et prennent au dépourvu.
Ah ! L’art secret des femmes !… Surtout lorsqu’elles sont des diseuses d(e bonnes)’ aventures dont l’accessoire magique n’est plus la boule de cristal mais le diapason, et que leur instrument n’est pas fait de main d’homme… ||